A la Fondation Louis Vuitton , l'inquiétante étrangeté de l'enfance par Marie-Anne Chenerie
La Fondation Louis Vuitton, dont nous avons déjà souligné l'intérêt des expositions, nous montre cette fois ci 13 œuvres d'artistes contemporains autour de l'enfance .
Le titre « Qui es tu Peter? » fait évidemment allusion à Peter Pan , et, ce qui m'intéresse ici est l'histoire personnelle de l'auteur de ce conte éternel, qui a été transformé en syndrome , le syndrome de ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas grandir . James Matthew Barrie, l'auteur du conte , alors qu'il est âgé de 6 ans, perd son frère aîné. Sa mère est inconsolable, l'enfant essaie par tous les moyens d'alléger sa souffrance, jusqu'à vouloir ressembler à ce frère disparu . Il refuse de grandir et garde une allure d'éternel adolescent. Sa vie de célibataire excentrique, divorcé, sans enfant, protecteur de jeunes garçons dont deux se sont noyés mystérieusement, se termine par son suicide. Peter Pan, son héros, perd lui aussi sa mère, se sentant abandonné, il rejette le monde des grands et se réfugie dans ununivers fantastique.
Ces 13 œuvres montrent bien que l'imagination et la création naissent dans l'enfance, mais surtout, de mon point de vue, montrent clairement comme enfance et mort sont proches , comme si , lorsque nous grandissons, nous refusons de voir ou de savoir ce que , enfants , nous avons entrevu .
J'ai choisi en particulier une oeuvre , celle de Nicolas Julliard, « L'hydrophile », ( oui, comme le coton )et
, une video qui présente l'immersion, douce, onirique, étrange, d'un être curieux , mi animal, mi humain, comme nos peluches d'enfance . Ce « doudou », réalisé par l'artiste, petit fils de couturière , au moyen de matériaux qui vraisemblablement ont eu une forte signification dans son enfance , est sensuel, ironique, tendre , insaisissable . L'image de l'immersion est bien sûr le symbole de la plongée vers les profondeurs de notre inconscient , inconscient qui s'est construit, à notre insu, dans notre enfance, par une succession d'événements ou de sensations , mineurs ou importants , doux ou traumatisants , en tout cas secrètes ,enfouies, immergées par cette eau qui a emporté les garçons aimés de James Barrie ...
Ce « Pelomorphe » comme le nomme l'auteur est sans doute l'habitant inconnu qui reste en nous quand nous sommes devenus adultes, la part de nous que nous ignorons, mais dont nous sentons les manifestations, inattendues, puissantes, archaïques, chaque fois que nous nous sentons poussés par notre instinct.
Ainsi, l'inquiétante étrangeté, définie par Freud, Freud qui est présent tout au long de cette exposition, serait « le retour inopiné d'éléments qui auraient dû être depuis longtemps surmontés ou enrayés »: c'est par exemple, l'effet durable et lancinant d'un secret de famille, ou le retour inopiné d'une scène refoulée, pas forcément terrifiante d’ailleurs, mais qui nous a marqués de façon indélébile. Ou cette mère absente, lointaine, celle de Peter Pan, mais aussi du Petit Chose, de Poil de Carotte ou de David Copperfield ; autres exemples d'enfants qui apprivoisent le monde par l'imaginaire ou le jeu. « Si sa mère ne pense pas à lui, comment peut il exister? » demande James Barrie.
Chacun sera touché par l'une ou l'autre de ces œuvres, mais j'ai constaté que l'immersion du Pelomorphe retenait un nombre important de personnes, silencieuses, rêveuses, subtilement inquiètes.
Les illustrations de cet article sont extraites du site « Sir james Barrie.com », de wikipedia, du dossier de l'exposition .
Informations pratiques :
Du 01/10/2010 au 09/01/2011, de 12h à 19h
Espace culturel Louis Vuitton,
60, rue de Bassano, 75008 Paris
Entrée gratuite