La guerre, notre part d'ombre par Marie Anne Chenerie
J'écris ce texte ce dimanche 11 septembre 2011: est-il utile de rajouter quelque chose à tout ce qui se dit, avec justesse et conviction , pour dénoncer la violence , alors que, au premier regard, tout dans le monde nous dit que cette violence est pérenne, voire intrinsèque à notre humanité ?
Que faire ?
Je propose cette réponse, par exemple: aller voir l'exposition « l'Ombre de la Guerre » à La Maison Européenne de la Photo , qui retrace notre histoire récente , depuis la guerre d'Espagne , en 90 photos , dites « photos de guerre ».
On pourrait appeler cet ensemble l'illustration des ténèbres de la raison ( le titre d'ailleurs de l'exposition, est , de mon point de vue, un peu faible par rapport à la force et à la portée de ce qui nous est montré ) . La photographie ( comme tout art d'ailleurs ) dévoile cette partie sombre de notre humanité , l'envers de nous même, la partie immergée de notre iceberg humain. Oui, bien sûr ce sont des Afghans, des Espagnols, des Serbes, des Palestiniens, des Israéliens , des Américains, mais oui, ce sont aussi des hommes , des femmes et des enfants, et tour à tour bourreaux et victimes , dans un subtil et poignant mélange, comme le suggère le choix des photos . Mais nous ne pouvons pas ranger ces photos tout en haut de notre armoire mentale, vous savez là où on ne va jamais, et que l'on retrouve , étonné, par exemple, après un déménagement ou en rangeant les affaires d'un proche décédé. Ce n'est pas le passé, cette notion un peu abstraite, et finalement rassurante « c'est passé... » , non c'est ici et maintenant, c'est nous qui sommes en scène, dans ce jeune soldat nourri aux corn-flakes et au coca , lunettes de soleil et cigarette à la main, que le photographe a saisi au moment où sa botte se lève pour frapper à la tête une vieille femme musulmane à terre ( morte ? ) , c'est nous aussi cette petite fille qui court nue sur les routes de Nagasaki et sera sauvée par le photographe sauvée physiquement, mais aussi sauvée parce que son image témoignera pour toute une génération, c'est nous ces hommes épuisés en haillons portant dans un couverture un corps ensanglanté , dans un paysage de neige glacial , ces hommes dont on devine, qu'ils vont devoir abandonner ce corps, s'ils veulent survivre, c'est nous cet officier qui vise à la tempe le Vietnamien condamné et c'est aussi nous le condamné dont le visage nous dit l'incompréhension et la terreur .
Le photographe a fait remonter tout cela à la surface , l'indicible peut être maintenant dit et partagé , après le dévoilement , la rencontre entre le photographe et son spectateur .
Alors , que faire ?
Pleurer ? Oui, parfois les larmes montent aux yeux. Se mettre en colère ? Evidemment, comment ne pas s'indigner devant tant de cruauté ? Ne pas voir ? C'est vrai, je n'ai « regardé» que très rapidement certaines photos , incapable de prolonger .
Il faut au moins aller voir cette exposition et oser regarder , grâce à l'intermédiaire du photographe , cette part de ténèbres , démoniaque qui est en nous , ne pas la nier , ne pas la rejeter . Cette exposition nous permet d'aller des yeux vers l'esprit, même si ce n'est pas la part la plus belle de notre humanité . On ne peut combattre que ce que l'on voit , ou que ce que l'on veut voir et décider de voir .
Alors, parlons en à nos enfants , et écoutons autrement les informations le matin dans la salle de bains .
Informations pratiques
Jusqu'au 5 septembre
Maison de la photographie
5 rue de Fourcy 75 004 Paris