François Morellet chatouille l'architecture du Louvre par Marie-Anne Chenerie
Le Louvre, vous connaissez, pensez vous , vous y aimez, selon votre tempérament, les vastes salons aux lourdes et sombres tapisseries, les salles dallées où résonnent vos pas intimidés devant tant d'antiquités illustres, les merveilles des portraits italiens , où le regard d'un jeune Florentin vous saisit pour ne pas vous lâcher . Et peut être aimez vous aussi, comme moi, ses coins calmes, où l'on ne croise qu'un gardien venu se dégourdir les jambes et qu'aucun guide ne signale : l'escalier Lefuel est de ces lieux -là .
Construit au XIXème siècle , il relie trois espaces du Louvre , et l'on ne s'y arrête guère .
Si vous êtes pressé ( il y a tant de choses à voir, n'est ce pas ? ) , ou si vous n'êtes pas averti , vous ne remarquerez peut être même pas cette merveilleuse lumière faite de blancs aux différences subtiles et ces lignes discrètement perturbantes.
Vous êtes devant la dernière commande publique du Louvre ( après Anselm Kieffer et avant Cy Tombly ) à des artistes contemporains et c'est pour moi une des plus réussies, car à la fois respectueuse du cadre et de son passé , très légèrement décalée, et très délicate .
Cette oeuvre reflète d'ailleurs le caractère de François Morellet, personnage attachant : 84 ans, né à Cholet, autodidacte, un des maitres de l'abstraction géométrique, un peu difficile d'approche, direz vous , mais aussi et surtout personnage souriant, modeste et plein d'humour .Il dit :
"J'avais visité le Louvre avec le lycée Charlemagne. Pour moi, c'était rayé, assimilé aux professeurs. J'étais un jeune couillon "
Et puis, 70 ans plus tard :
"J'ai utilisé une technique du Moyen-Age sur des ferrures du XIXe pour faire une oeuvre du XXIe siècle. J'ai voulu faire une chose discrète que beaucoup de visiteurs ne remarqueront pas. C'est une fantaisie, un chatouillis dans ces ferrailles qui étaient un peu tristes pour ce joli escalier.....Je suis de plus en plus frivole en vieillissant".
Quelle merveille de subtilité , de décalage: une oeuvre réussie doit nous interroger, nous déstabiliser , nous surprendre, parfois durement, comme le font certains artistes contemporains . Ici François Morellet a choisi la douceur et peut être l'humour et a atteint son but. N'a-t-il pas d'ailleurs intitulé sa création « L'esprit d'escalier? »
Alors, la prochaine fois que vous allez au Louvre, prenez quelques instants pour parcourir l'escalier Lefuel; vous pouvez même vous asseoir sur les marches, lever la tête pour voir ces lignes du dessous et même , enlever discrètement vos chaussures pour reposer vos pieds fatigués, puis repartir, comme nettoyé par cette blancheur . Vous avez rencontré l'Esprit de
l'Escalier .