Une histoire d'objets familiers par Marie Anne Chenerie
Voici 2 peintures , a priori bien différentes , mais qui, toutes deux , représentent des objets de la vie domestique, objets familiers de l'artiste . Vous aurez reconnu bien sûr dans la première oeuvre une nature morte de Giorgio Morandi et , moins connu , dans la seconde, une nature morte « Tea Tins » de Louisa Dusinberre , qui a exposé récemment, rue des Abbesses à Paris.
Peu de points communs : le style et la taille des tableaux ( les nature mortes de Morandi sont petites, parfois très petites , celles de Louisa Dusinberre sont grandes, et même très grandes (presque 2 m de haut sur 1,60 m de marge ...) , la palette, la structure et , surtout la vie et le caractère des 2 artistes : Louisa Dusinberre est Anglaise, elle habite en France avec son mari – Américain, Giorgio Morandi est un Italien né en 1890 ; Morandi est décrit par ses contemporains comme un homme discret, voire effacé qui est né et est mort au même endroit, comme s'il n'avait pas davantage bougé que les pots et les boîtes qu'il peint. Il a vécu célibataire, auprès de ses 3 soeurs, dans un atelier monacal. Louisa Dusinberre est expansive, optimiste, rieuse , énergique, multi-culturelle , tous éléments qui côtoient aussi une certaine gravité .
Difficile d'imaginer 2 personnes plus différentes , et pourtant tous deux se sont attachés, à travers leur personnalité, à décrire ce qui leur est familier, dans le sens premier du terme: « qui est de la famille ». A l'origine, les dieux familiers, sont , chez les Romains, des esprits que l'on disait être attachés aux habitants d'une maison pour les inspirer et les diriger. Bref , des objets humbles, utiles, vus, intégrés, absorbés par le regard et le fait de vivre avec eux tous les jours, mais qui , sait-on jamais , protègent , voire dirigent la « famille » .
Voici maintenant les objets réels qui ont donné ces peintures. Que voyons nous ? Chez Louisa Dusinberre , les boîtes, colorées , dansent , elles s'écartent , décollent , et dansent une danse individuelle qui vient se conjuguer avec les mouvements des boîtes voisines ; j'y associerais une musique de jazz . Chez Morandi, je trouve la stabilité , l'équilibre, la mesure, dans la palette et dans la composition, les objets sont resserrés, concentrés, un équilibre atteint mais qui est peut être le fruit d'une longue quête et, qui sait d'un long voyage de ces objets ; j'y associerais le silence .
Dans les 2 cas, les objets sont devenus abstraits, mais ils nous donnent à voir un monde bien différent , le reflet de l'âme de leur auteur . Voici bien la preuve que la peinture est un art unique , rencontre d'un sujet ( choisi par l'auteur et déjà ce choix est un premier élément de cette construction merveilleuse qu'est un tableau) , de celui qui peint et de celui qui regarde; cette conjonction, cette combinaison ne sera jamais la même et là est toute la merveille de la peinture : que jamais deux personnes ne peignent de la même façon le même objet , ni que deux personnes ne regardent de la même façon la même peinture .