L'art en dehors de son contexte a-t-il une valeur esthétique ? par Marie-Anne Chenerie
Grave question , penserez-vous. Je me suis interrogée sur les rapports entre les oeuvres d'art et leur contexte en voyant les résultats de le vente aux enchères à l'hôtel Marcel Dassault ce mois de mars, vente réservée aux artistes contemporains de «street art» : les prix atteints par des «graffeurs» de grand talent ont été très élevés au regard du type d'art mis en vente ; les artistes américains ont remporté les prix les plus élevés , en France , Nasty et Blek le Rat et Jeff Aerosol , ici son oeuvre représentée en salle des ventes se sont bien très bien vendus .
La Fondation Cartier avait déjà tenté cette expérience ,avec l'exposition «Né dans la rue» ( et mort dans un musée , pourrait-on ajouter …) d'exposer le street art en dehors de son contexte urbain, dans un environnement de musée ; je garde un souvenir curieux de ces oeuvres, si fortes dans leur contexte : un mur, la paroi d'un wagon, une palissade , et ici si désincarnées, affaiblis, comme refroidies, vitrifiées. Deux éléments étaient intéressants dans cette exposition:
Le mur extérieur de la Fondation Cartier, boulevard Raspail , laissé aux artistes de la rue et recouvert incessamment par 2 ou 3 graffeurs qui se succédaient avec frénésie
Des vidéos où l'on voyait les jeunes en action, à toutes les époques; la plus frappante était certainement celle des « pixaçao» à Sao Paulo au Brésil,
groupe de rebelles urbains , pauvres et sans avenir , qui se donnaient pour défi ( et comme symbole de leur révolte) , de peindre leurs signes le plus haut possible des immeubles et des terrasses , en mettant leur vie terriblement en danger .
Pour moi, l'art de la rue ne peut exister vraiment que dans et par la rue et non sur les murs d'un collectionneur ou d'une Fondation . Le contexte, ici la rue, a donc toute son importance.
J'irai plus loin, l'art existe par le contexte dans lequel il est créé et exposé : pour l'art des graffeurs , en particulier, la démarche est aussi importante que le résultat lui même , ainsi que le regard du spectateur .
Je me souviens d'une anecdote, dans un autre registre et dans un autre sens , mais qui illustre également cette relation intime entre art et contexte. Le violoniste , mondialement célèbre, Joshua Bell a joué des partita de Bach dans une station de métro de Washington à une heure de pointe , heure à laquelle quelques milliers de personnes ont traversé la station devant le violoniste . Il s'agissait d'une « expérience» sur nos capacités de perception. Après 3 reçoit son premier dollar: en continuant tout droit , une femme lui a jeté l'argent . Celui qui y prête vraiment attention est un petit garçon de 3 ans, sa mère pressée l'a tiré par la main , il a avancé mais en gardant sa tête tournée vers le violoniste . Or, le lendemain, Joshua Bell jouait les mêmes partita de Bach au théâtre de Boston : toutes les places étaient «sold out» depuis plusieurs jours à 100 $ la place . minutes, un homme d'âge mûr semble remarquer l'homme qui joue, a ralenti, puis est reparti . Dix minutes après , le violoniste
La question est bien celle-ci:dans un environnement commun, non dédié à la contemplation de l'art , à un moment où nous ne nous y attendons pas , pouvons nous apprécier la beauté ? Dans un même registre , je me suis souvent demandé comment je réagirais si je trouvais «La Joconde» , ou mieux encore « les Tournesols» de Van Gogh, le tableau le plus cher du monde aux enchères à ce jour , pas encadrés, exposés sur un trottoir de vide grenier . Il n'est pas certain du tout que je ne les jugerais pas comme des «croûtes» .Le mode d'exposition nous conditionne donc étroitement à l'appréciation de ce qui est «beau».
Pour en revenir au street art, là aussi, les oeuvres ne doivent pas être déconnectées de leur environnement pour fonctionner correctement . Regardez maintenant quelques photos d'art de la rue en situation , voici de l'art qu'on a plaisir à regarder tous les matins en allant au travail , ou bien à surprendre au détour d'une rue inconnue , art qui existe avec et par ce mur qu'il accompagne.