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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 21:17
« L'image cabrée » , Fondation Paul Ricard , par Marie-Anne Chenerie

Les expositions des Fondations d'entreprise

Je continue ici ma série sur les expositions de Fondations d’Entreprise. Après la Fondation « Louis Vuitton » ( voir ci-dessous) , voici la Fondation Paul Ricard , et sa dernière exposition « L'image cabrée »; je n'insisterai pas encore une fois sur la beauté de ces lieux , et leur adresse prestigieuse : luxe, calme et volupté , voici l'impression qu'on en retire , renforcée par un accueil soignée , disponible , élégant , le sentiment d'avoir pour soi tout seul des pièces immenses, lumineuses et que les œuvres sont là uniquement pour vous ; ceci est souvent accentué par le choix du commissaire de sélectionner peu de pièces choisies rigoureusement. Bref, quel plaisir d'échapper au sort du visiteur classique que je suis : une attente debout qui vous tue les jambes , ces jambes dont vous auriez tellement besoin une fois que vous êtes enfin arrivé au lieu de vos attentes, un espace surchauffé, encombré ( la densité des autres visiteurs , les bruits parasites : en enfant qui pleure : est-il vraiment bon pour un enfant de 3 ans d'aller voir des Vermeer ?-) , mais aussi parfois beaucoup, trop d'œuvres, dans le but de montrer par exemple, l'évolution de l'artiste et des appariteurs ( on ne peut vraiment pas dire « hôtes ou hôtesses ») qui dorment sur leur chaise ( dans le meilleur des cas ) et , dans le pire de cas , échangent à voix haute des recettes de blanquettes de veau ou les commentaires du dernier France -Autriche .

Bref, l'impression d'être dans un lieu réservé et dédié à la seule contemplation des arts. De plus, ces expositions sont accompagnées d'un catalogue gratuit , réalisé avec une recherche de mise en page et de typographie impressionnante , d'un site internet très bien fait , d'une grande richesse explicative ( qui est parfois indispensable, disons-le franchement) ) . Donc, n'hésitez pas, ne vous laissez pas intimider, franchissez la lourde porte et saluez les hôtesses d'un air entendu : après tout, c'est de l'art, et, que je sache, c'est fait pour être vu , et , de mon avis ( je n'engage que moi ) , par des personnes de stature et d'origine très différents .

Image cabrée ?

Une fois ceci posé, je reviens à « L'image cabrée ». Tout d'abord pour vous dire ma perplexité devant l'intitulé de l’exposition. Pour moi, on se cabre « contre » un obstacle, une idée, une contrainte, ce mot est associé à la révolte, la rébellion, la spontanéité, la fougue , la jeunesse souvent , la force animale et donc non contrôlée , voire dangereuse .
Pour moi une image cabrée est celle qui surgit, pure et vierge de toute manipulation en ayant justement repoussé tous les forçages auxquels l'artiste a voulu la soumettre.

Or, si nous nous en tenons à l'âge des artistes sélectionnés, nous retrouvons cette impression de jeunesse.Mais qu'ai je trouvé dans les œuvres exposées? Certes des images, mais plutôt des images manipulées , reproduites , superposées , ce que je trouve extrêmement intéressant comme principe ( et nous rapproche ici de la gravure, qui est le processus qui permet, par excellence, ce travail d'empilement, de retour en arrière, d'ajout, de métamorphise) . Mais pour moi, ce n'est pas une image cabrée , mais une image domptée , qui a été travaillée , « matée » , comme un cheval que l'on a dressé et dont le résultat est celui de longues heures de manipulations et entrainements, qui est célébrée ici ; j'aurais peut être choisi comme titre , « l'image domptée » ou « l'image complexe » , mais cela ne correspond sans doute pas à l'intention du commissaire .

Ou alors , peut on imaginer que l'image « cabrée » est celle qui , malgré les traitements que l'artiste lui a fait subir ( bombage, pliage, photocopies, superpositions, éclairages en transparence ) , est celle dont le résultat final échappe à l'intention de l'artiste et le dépasse largement pour venir s'imposer dans sa vérité individuelle , vérité peut être cachée qui peut maintenant surgir d'elle même après ce passage obligé de manipulations, comme un « tunnel de purification »? .

Cette remarque liminaire sur le titre de l'exposition, est simplement un petit mouvement d'humeur . Dans le fonds, pour moi, l'art ne peut être que « senti, rare, sincère » ( Hector Obalk , L'eau , revue d'art , septembre 2000) . Et c'est souvent ce qui explique mon malaise en face de certains œuvres d'art contemporain : leur absence de complexité, leur obéissance primaire à une règle unique ( le concept ) et donc, l'absence de surprise( alors que, paradoxe, c'est souvent la surprise , par le décalage, par exemple, que l'artiste a voulu provoquer) , car tout est expliqué , justifié , argumenté pour rentrer dans l'intention de l'artiste . Cette surprise, cette profondeur, cette découverte de couches successives insoupçonnées, je peux les trouver dans un Rembrandt, dans Fillipo Lipi, dans le retable d'Issenheim, , dans un Rothko, dans un Sacksick , mais déjà moins dans un Nicolas de Stael ou dans un contemporain qui va longuement m'expliquer l' intention qui a présidé à son installation . Et cette profondeur, je ne l'ai pas trouvée dans toutes les oeuvres exposées. Je vous dirai à la fin de l'article quelle est l'oeuvre qui, pour moi répond à ce critère de profondeur et de « surprise » .

J'ai choisi de vous faire part (ce ne sera pas trop long, rassurez vous) de mon avis sur 3 thèmes :
 
1) Les manipulations de l'image
2) La scénographie de l'exposition
3) Le débat – éternel – sur la peinture versus les autres techniques de l'art contemporain, ou les autres media

Les manipulations de l'image

1) L'image manipulée : ici la force de l'artiste est de soumettre l'image à des traitements , altérations soit aléatoires ( pluie, déchirures ) , soit voulus ( pliage, photocopie , mise en transparence du verso d ela feuille) , pour en faire une oeuvre , pour en donner une image différente , parfois opposée de sa signification première ( Ida Tursic et Willfried Mille , « 90 Interview May » ou le recto d'une affiche de Clement Rodzieski ) , et qui ouvre une porte d'entrée vers un autre univers : l'écart se creuse entre l'oeuvre et l'image d'origine , jusqu'à la contradiction ou le paradoxe : dans cet écart, s'engouffrent nos peurs, nos doutes , nos incertitudes , nos espérances :c'est l'inconnu qui est là et qui nous appelle. Cet écart est d'autant plus fort que l'image nous est familière, ou bien se rapporte à des clichés bien installés ( la jeune mariée surannée de Jimmy Roberts ) , qui nous font mesurer le gouffre qu'il y a entre la représentation immédiate de ces images et ce que notre inconscient y voit , comme dans un rêve éveillé. A cet égard, cette exposition offre de nombreux exemples de ces manipulations, qui donnent tout son sens au mot « image »: » figure qui fait reconnaître ou évoque une réalité ».

La scénographie de l'exposition

2) La scénographie : la mise en scène de l'exposition est surprenante et nous invite à revenir sur un principe de l'art contemporain, à savoir que son approche nécessite une intervention, un effort de notre intelligence ou du moins une participation active et non plus seulement l'appel à notre sensibilité ou au plaisir des yeux immédiat :les oeuvres sont exposées sans cartouche, sans titre , sans nom d'auteur et si l'hôtesse ne vous donne pas un plan ( intéressant, cela vous oblige à reparcourir les autres oeuvres des 3 salles ) :

vous avez donc 2 façons de visiter l'exposition :

 1. celle de l'amie qui m'accompagnait ( elle est aussi spontanée , immédiate , rapide que je suis réfléchie , « bon élève », consciencieuse ) ) , qui s'est laissée porter par ses pas et ses préférences à travers les 3 pièces , en se disant très vite « j'aime ou je n'aime pas ; il est intéressant de noter que ses préférence sont allées très spontanément vers les oeuvres peintes , et nous y reviendrons plus bas ) et je dois dire que ces choix étaient sensibles

2. ma démarche : j'ai donc pris le plan et cherché à comprendre, ou bien demandé à l'hôtesse. Et là, surprise aussi , et bravo au curateur, le plan vous fait perdre un peu l'orientation la localisation des tableaux ou des installations et il vous arrive même de prendre un titre pour un autre ( et après tout, pourquoi pas, car c'est vous qui voyez l'image et c'est à vous qu'elle appartient ) ;
l'hôtesse rajoute quelques explications ( par pitié ? par gentillese, par souci de faire apprécier l'exposition ? ) : la simple photo des narcisses découpée et recollée , et qui, vous l'aviez bien remarqué, est accrochée à 1 m du sol , rappelle la hauteur de l'artiste enfant . Ouf, tout s'éclaire, me voilà rassurée, il y a une explication censée , mais l'aurais je trouvée toute seule ? Et si je ne l'avais pas su, il en serait resté dans ma mémoire un image étrange de photo , banale, découpée et recollée, soigneusement encadrée, accrochée à 1 m du sol .  Et j'aurais imaginé des tas d'explications : l'artiste est nain et expose ainsi sa confiance et son obsession de son corps, ou encore, l'artiste est complexé ( par quoi ? ) et s'expose trop bas , ou encore, l'artiste nous oblige à nous pencher , et donc à réfléchir sur le fait que notre obsession de nous même ne nous élève pas , mais au contraire nous abaisse, ou que sais je encore j'en aurais beaucoup d'autres à vous proposer .
Donc voilà pour moi, un œuvre d'art contemporain intéressante, car , au lieu de nous imposer sa lecture unique, elle me force à aller chercher en moi ce qu'elle évoque . Donc le commissaire a raison : pas de titre ou d'explication affichés nous oblige , quand l'œuvre est bonne, à une appropriation de l 'œuvre . .

Voilà un effet de cette scénographie, j'en citerai encore un , et je vous prends à témoin : qu'auriez vous pensé à notre place : nous passons sous un ventilateur ( en marche, gris neutre , comme un ventilateur de bureau ou d'entrepôt ) et apprécions l'air frais qu'il introduit dans cet espace ( un peu de fraicheur au milieu de tant de réflexions intelligentes ? ) « Quelle bonne idée » me dis je . Or le plan vous indique une oeuvre d'Etienne Chambaud , intitulée , « l'air,exclusion de la tautologie , N9 » et précise, qui plus est « dimension variable ». Passé un premier réflexe de fou rire ( et après tout l'humour est une qualité première de l'art contemporain et justement de cette distance qu'il introduit entre œuvre et signification) , nous nous interrogeons très sérieusement ( je vous ai dit que je voulais faire les choses consciencieusement ) : « que veut dire dimension variable ? Est ce l'air qui prend de nouvelles dimensions, le ventilateur qui s'élargit ? le ventilateur qui donne à la pièce de nouvelles dimensions selon qu'il tourne plus ou moins vite ?»

 Bon cela est bien intellectuel et ce que je pourrais reprocher à la scénographie du commissaire, par ailleurs, je le redis , très intéressante, est que cela réserve cette approche à une certaine élite et que le fait de n'avoir pas la réponse – ou un début de piste avec le titre – exclue de fait de nombreux visiteurs d'une connivence avec l'œuvre ou l'artiste . Mais après tout peut être est ce voulu ? Après tout , nous ne sommes pas toujours obligé de trouver quelque chose d'intelligent à dire ou à penser devant chaque œuvre ...Et finalement, je l'avoue, je n'ai rien d'intelligent à dire devant ce ventilateur , sauf que cela fait du bien de passer dessous ...

Le débat – éternel – sur la peinture versus les autres techniques de l'art contemporain, ou les autres media
3) Enfin, c'est un peu long, je m'en excuse, mais cette exposition a soulevé en moi ( qui suit de la génération du dessin , de la gravure, de l'effort , de l'apprentissage, ..) de nombreuses questions : je voudrais revenir sur la différence de perception entre une œuvre peinte ( Damien Cadio , Ida Tursic et Wilfried Mille par exemple ) et les autre œuvres, plutôt du genre « installations » ou utilisant des technologies modernes , comme la reprographie ou la photo . Aujourd'hui, nous sommes dans l'ère de reproduction, de la diffusion de masse. C'est pour cela que je salue ici le travail de ... la mariée , tout à fait intéressant, car la technique de photocopie ouvre tout d'un coup une nouvelle dimension : au premier abord, un photo passée et conventionnelle d'une jeune femme souriante au bonheur convenu de fiançailles ou d'un mariage à venir , photo sur laquelle , croyez vous, l'artiste a collé du sparadrap ou des bandes Velpeau, comme un voile de marié, mais aussi comme des liens collants dont on ne pourra pas se défaire ( tout le monde a fait l'expérience du morceau de sparadrap qui nous poursuit et nous ridiculise par son obstination ) et qui évoque la maladie, l'hôpital ( et donc la guerre , si on l'associe à l'époque de la photo ). Vous trouvez l'idée pas mauvais, mais un peu facile, puis à y mieux regarder, vous voyez que l'œuvre est plate, donc vous pensez que c'est peint ( et là vous admirez la prouesse technique , car c'est d'un réalisme poignant ) , et enfin , vous touchez et c'est lisse et froid , comme une photocopie: et c’est bien une photocopie. Donc plus de prouesse technique, mais une autre dimension, celle de l'image reproduite ( la photo est déjà une image ) et brisée, torturée, « refroidie » . Je sais bien que Godard a dit, en parlant des caméras numériques « c'est Sony qui filmera et non pas eux » ( Hector Oblak, voir ci dessus) , mais là , ce n'est pas Hewlett Packard qui l'a fait , c'est mais bien Jimmy Roberts ; la photocopieuse est un moyen comme le pinceau ou la bombe aérosol. Clément Rodzielski l'a aussi bien montré , avec ses « miroirs noirs » ....Donc bravo au travail sur la photocopie , qui révèle , comme la gravure, des surprise et permet le mariage d'éléments apparemment incollables pour ne faire un univers compact, lisse, inquiétant .

Pour finir, mon choix ira aux artistes Ida Tursic et Wilfried Mille ( c'est de la peinture ...) , et en particulier à l'immense portait de la très jeune femme: une poupée ravissante au sourire et au regard stéréotypés , vous vous approchez , et là, la contradiction, le mystère est là : en transparence , vous voyez des tâches de peinture et d'huile, vous comprenez que c'est la page d'un magazine souillé . Souvenez-vous, comme ce scarabée dans les natures mortes ou la mouche ou le papillon dans ces bouquets de fleurs , qui nous disent que derrière l'apparence de l'ordre et de la beauté , il y a l'horreur de la mort et de la destruction, du désordre . D'ailleurs, a-t-elle été assassinée, violée , est ce un pantin mécanique ? Comment est son corps qu'on ne voit pas ? Ce n'est pas seulement une anecdote, c'est presque une allégorie .Ce visage, lisse , beau et sans profondeur nous ouvre en fait une dimension inattendue , donnée par le détail du haut du tableau et des mouchetures rouges , donc par le défaut et le détail Et chacun y voit ce qu'il veut . Voilà pour moi un image, sinon cabrée, du moins, travaillée, complexe, personnelle à chaque visiteur qui en fera sa lecture , contemporaine par sa technique et son thème .

Fondation d'entreprise Ricard / Art contemporain, 12 rue Boissy d'Anglas 75008 Paris, 01 53 30 88 00 Exposition jusqu’au 7 novembre 2009

du mardi au samedi de 11h à 19h

Visites commentées tous les mercredis à 12h30 et samedis à 12h30 et 16h00.

ENTREE GRATUITE

http://www.fondation-entreprise-ricard.com/expositions/

 

 

visuels :

                      Vue de l'exposition, © Marc Domage / Fondation d'entreprise Ricard

Ida Tursic et Wilfried Mille. Numéro P.185, 2008. Jet d’encre sur toile, 250 x 200 cm

Clément Rodzielski Miroirs Noirs (Deborah Kara Hunger), 2008 Photocopie n&b unique Courtesy Cardenas Bellanger, Paris

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